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Il faut changer la définition pénale du viol

Après Inceste, le dire et l'entendre, Andréa Rawlins-Gaston produit un documentaire montrant de l'intérieur un procès pour viol
 
Publié le 18/03/2024 - Dernière modification le 19/03/2024.
© Copie écran magazine Télé Star

Vous êtes engagée depuis plus de vingt ans dans la défense des femmes victimes de violences. Comment avez-vous vécu le mouvement #MeToo ?

ANNE BOUILLON : Je n’ai pas perçu tout de suite l’importance et l’ampleur de cette déferlante. Parce qu’avant #MeToo, mon cabinet ne désemplissait déjà pas de femmes venues dire ce qu’elles subissaient. Les femmes n’ont jamais cessé de parler : ce qui a changé après 2017, c’est que certaines oreilles se sont dé- bouchées. Et qu’enfin, on a accordé de l’attention et du crédit à leur parole. Dans votre pratique d’avocate, qu’est-ce que #MeToo a changé ?

Dans votre pratique d’avocate, qu’est-ce que #MeToo a changé ?

Tout ! Ma parole aussi était fréquemment disqualifiée dans les prétoires. Quand je disais qu’il fallait se demander pourquoi les femmes restaient dans des situations de violences conjugales, taisaient des situations de viol ou culpabilisaient de parler, on me demandait de me taire ou d’éviter les cours de sociologie. Depuis #MeToo, on m’écoute. Y compris lorsque j’utilise des mots comme emprise, sidération ou dissociation.

Vous défendez des femmes anonymes. Se sentent-elles encouragées par les témoignages de victimes célèbres ?

Je n’ai pas le souvenir qu’une cliente m’ait dit «je viens car j’ai lu Vanessa Springora» ou «je viens car j’ai entendu Camille Kouchner» mais ces voix fortes sont essentielles car elles créent un climat favorable à la prise de parole.

Dans son documentaire, Marie Bonhommet filme l’audience d’une cour criminelle départementale. Pourquoi a-t-on créé cette nouvelle instance ?

On y juge désormais tous les crimes dont la peine maximale encourue est de vingt ans, donc tous les viols sauf circonstances aggravantes. Les CCD ont été créées pour gérer un stock insensé : on pouvait attendre quatre ans avant qu’un dossier n’arrive devant la cour d’assises !

Contrairement aux assises, la cour criminelle juge à cinq magistrats, sans jury populaire. Est-ce vraiment un progrès ?

Tant que seront en place des présidentes exceptionnelles comme Laurence Delhaye ou Karine Laborde, les principes prévaudront sur les logiques comptables et la pression faite pour «juger le plus rapidement possible». Mais ensuite ? Et ce qui m’inquiète aussi, c’est que sans jurés, on perd cet enjeu de sensibilisation et pédagogie que permettaient les débats. La seule amélioration que je note est pour les victimes. Leur sentiment – illégitime mais bien réel – de honte à l’idée de parler du viol qu’elles ont subi est peut-être apaisé à l’idée de le faire devant des magistrats plutôt que des jurés.

Ces tribunaux pourront-ils absorber le nombre de plaintes ?

Non ! On estime entre 80 000 et 90 000 le nombre de viols subis par les femmes en France chaque année. Seules 10 % des victimes portent plainte mais imaginez si toutes le font ! Le système explose ! Il faut vraiment doter la justice de moyens, et pas simplement augmenter le budget de la branche pénitentiaire.

Seuls 1 % des auteurs sont condamnés. Pourquoi ?

Parce qu’à toutes les étapes, la victime est en croisade pour convaincre que non, vraiment non, elle n’était pas consentante. Justifier de la taille de sa jupe, de sa sexualité, d’avoir manifesté bruyamment et farouchement son absence de consentement. En France, les rapports sont réputés consentis sauf contrainte, menace, violence ou surprise. Moi, je crois qu’il faut renverser les choses et dire qu’un rapport qui n’est pas consenti est un viol.

Vous dites que l’éducation reste l’une des clés…
Bien sûr. Comment un jeune homme peut-il mettre ses doigts dans la culotte de sa petite amie endormie ou alcoolisée et refuser de qualifier ça de viol ? La Belle au Bois dormant n’était pas consentante, et il reste beaucoup de contes et de mythes à déconstruire.


Entretien : Sylvia De Abreu

 

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