En 2003, quand Marie Trintignant est morte, six jours après avoir été rouée de coups par son compagnon Bertrand Cantat, nous avions déjà tous les éléments pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un crime dit passionnel. Mais que ce crime procédait de lalogique que nous connaissons bien aujourd’hui, cette idée du propriétaire légitime. C’est un crime de réappropriation, de domination et pourtant à l’époque, il a été traité sur un versant romantique. Il y avait en effet tous les éléments pour romantiser le dossier : un chanteur ténébreux, une star de cinéma, de l’alcool.
Le traitement médiatique et plus largement de la société était complètement à côté de la réalité du crime. Et en romantisant le crime, on en a réduit la portée, et la responsabilité de l’auteur. Je ne commenterai pas la sanction pénale mais, on peut penser que si Bertrand Cantat était aujourd’hui jugé pour ces faits-là, sans doute que la peine serait beaucoup plus sévère et que l’appréhension que nous aurions de ce crime serait singulièrement différente. Notre société a évolué, nous avons désormais une grammaire que l’on peut mobiliser au plus proche de la réalité de phénomènes criminels et de violences faites aux femmes.
À l’époque de la mort de Marie Trintignant, cependant, nous n’étions pas tous passés à côté, les mouvements féministes dénonçaient déjà le patriarcat, les violences conjugales et les violences à l’état pur. Nous dénoncions déjà qu’il s’agissait d’une violence paroxystique d’une violence systémique. Mais il y avait peu d’audience accordée à notre parole. Il a fallu attendre MeToo. En tant qu’avocat, quand on se retourne sur l’histoire judiciaire et l’histoire des grands procès, on peut être effrayé par le fait que nos collègues avaient à plaider dans des audiences avec une peine de mort requise mais aussi par la mansuétude accordée aux crimes passionnels. Les choses ont évolué. On ne plaide plus contre les réquisitions de peine de mort et en même temps, on appréhende les phénomènes criminologiques pour ce qu’ils sont, à savoir de la violence patriarcale et de la violence faite aux femmes.
La notion de crime passionnel n’a jamais été codifiée si ce n’est dans le Code pénal napoléonien. Un époux qui surprenait sa femme en situation d’adultère, bénéficiait des circonstances atténuantes s’il tuait l’amant de sa femme. Ce qui est extrêmement éloquent sur ce que cela signifie : on serait donc, dès lors que l’on ait remplacé par un autre, un tiers, être légitime à commettre un crime. Mais si l’on était, dans le passé, sur des circonstances atténuantes, aujourd’hui, on est sur des circonstances aggravantes, le changement de paradigme est à ce point important, le fait de tuer son conjoint être une circonstance aggravante du crime.
par Le Dauphine Libéré