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"Les victimes continuent d'être maltraitées par les institutions censées les protéger"

TRIBUNE - Elles sont membres de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). Dans ce texte, 18 avocates regrettent que "le parcours des victimes de violences conjugales s'apparente toujours à un parcours de combattante".
 
Publié le 05/07/2019 - Dernière modification le 30/07/2021.
© Copie écran Video Presse Océan

Un rassemblement s'est déroulé samedi place de la République à Paris, à l'appel d'un collectif de familles et de proches de victimes de féminicides. Depuis le début de l'année, 74 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-conjoint. Dans cette tribune publiée sur le JDD, 18 avocates de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) "dénoncent les carences du système judiciaire" et regrettent que le parcours des victimes de violences conjugales s'apparente toujours à un parcours de combattante". 

Voici leur tribune : 

"74 femmes sont mortes tuées par leurs compagnons ou ex depuis le début de l’année.

Le ministère de la Justice vient de faire tenir une circulaire aux procureurs les incitant à 'développer une culture de protection des victimes'.

Le Haut Conseil à l'Egalité demande instamment à se voir confier une mission d'audit afin de déterminer là où les femmes n'ont pas été protégées.

Nous, avocates féministes résolument engagées du côté des femmes et membres du réseau d'avocat·e·s de la Fédération Nationale Solidarité Femmes* dénonçons les carences du système judiciaire qui, à l'aune de ce chiffre macabre, ne sont plus tolérables.

Nous constatons, malgré #Metoo, Balance ton porc et la parole des femmes dont il est dit qu'elle se libère, que le parcours des victimes de violences conjugales s'apparente toujours à un parcours de combattante.

Avant même le dépôt de plainte, l'épreuve commence.

Trop souvent renvoyées à leurs pénates quand ce n'est pas à leur propre responsabilité, la parole libérée n’est pas entendue. Les archaïsmes ont la peau dure : 'Comment étiez-vous habillée mademoiselle', 'S‘il a fait ça c'est qu'il vous aime trop', 'S'il vous a frappé c'est peut-être parce que vous ne remplissiez plus votre devoir conjugal.'

Deux exemples parmi tant d’autres que nous ne voulons plus :

Madame appelle le 17 alors que son époux violent tambourine sur la porte d'entrée. Il lui est répondu de le laisser rentrer : le domicile conjugal est aussi le sien!

A une autre qui appelle au secours alors qu'elle est violentée, il lui est demandé si elle déposera plainte. Sur le coup et sous les coups, elle dit qu'elle ne sait pas. Les policiers lui répondent que dans ces conditions ils ne se déplaceront pas!

Nous constatons encore et toujours : l'exigence erronée d'un certificat médical comme condition nécessaire au dépôt de plainte, le recours abusif aux mains courantes et des classements sans suites injustifiables.

Le sentiment d'impunité des auteurs et d'abandon des victimes n'en sont que plus grands. 

La loi est ainsi faite qu'il faut que la victime démontre non seulement la vraisemblance des violences alléguées mais aussi le danger encouru

Pire, des femmes sont elles-mêmes poursuivies pour dénonciation calomnieuse par des procureurs zélés ou inconscients. D'autres reçoivent des convocations à comparaître comme victime mais aussi comme auteur dès lors qu'elles ont osé se défendre physiquement et riposter, le parquet considérant alors qu'il s'agit de 'violences réciproques' renvoyant tout le monde dos à dos. 

Nous dénonçons aussi l'ineffectivité des ordonnances de protection judiciaire dont la garde des Sceaux se désole à juste titre qu'elles ne soient que si peu utilisées. C'est vrai car la loi est ainsi faite qu'il faut que la victime démontre non seulement la vraisemblance des violences alléguées mais aussi le danger encouru, les deux conditions étant cumulatives pour que la protection soit accordée! Comme si des violences pouvaient ne pas mettre en danger!

S'agissant des violences, certaines ne sont pas jugées assez importantes pour déclencher la protection. Ainsi, à une femme dont le mari reconnait avoir administré une gifle le juge refuse la protection au motif que ces violences ne seraient pas habituelles… ce que la loi n'exige pas. 

Lorsque des violences sont établies, c’est alors le danger qui lui ferait défaut : si les violences sont trop anciennes, si la cohabitation a cessé, si un contrôle judiciaire est prononcé alors la protection est refusée car le danger n'existerait plus…

Enfin si l'ordonnance de protection est délivrée, alors rien ne garantit son effectivité ; 

Djeneba BAMIA a été tuée par arme à feu en 2017 par son mari alors même qu'elle avait bénéficié d'une ordonnance de protection judiciaire. Néanmoins, les armes qu'il avait interdiction de conserver ne lui ont jamais été prises par les gendarmes auxquels elle avait fait part de sa crainte, fondée, qu’il ne s'en serve contre elle.

Il serait inexact de dire que rien ne bouge, mais le mouvement est trop lent, disparate et aléatoire

Alors oui les femmes victimes de violences conjugales continuent d'être maltraitées par les institutions censées les protéger. 

Elles sont contraintes à des médiations familiales ou pénales avec ceux-là mêmes qui les violentent, elles sont soumises à des injonctions de coparentalité alors que les violences se poursuivent au travers des enfants par l'exercice conjoint de l'autorité parentale, elles sont contraintes de s'éloigner et de trouver elles-mêmes et avec les associations spécialisées qui les protègent, les moyens de leur protection car l'éloignement du conjoint violent n'est pas appliqué. 

Qu'il nous soit épargné la critique facile de la caricature : nous connaissons et subissons avec elles toutes ces situations. 

Il serait inexact de dire que rien ne bouge, mais le mouvement est trop lent, disparate et aléatoire.

C’est une culture générale de la protection des victimes qu’il faut développer : combattre la suspicion qui pèse sur les femmes, combattre l'idée d'un  seuil de violences tolérables, combattre l'idée que ce qui se passe au sein d'un couple relève de la sphère privée ou de la 'dispute conjugale'. 

Nous voulons des actes. 

Les outils juridiques existent. 

Il faut s'en emparer et les appliquer. 

Sinon le nombre ne baissera pas."

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